Abstract
L’émancipation des juifs de France en 1791 marque le commencement d’une période d’ascension sociale et économique sans précédent pour la minorité juive en France métropolitaine. Vers la fin du XIXe siècle, la communauté juive française est perçue comme étant la plus stable et la mieux assimilée en Europe occidentale. Dans les décennies précédant la Seconde Guerre mondiale, des vagues successives d’immigration juive d’origine orientale changent la façon dont les juifs sont perçus par les Français non-juifs. L’idéologie d’assimilation qui a pu s’établir dans la communauté juive française se trouve alors menacée par des immigrants de culture yiddish. Ceci, combiné avec la poussée antisémite et la crise économique des années 1930, fait souvent de la négociation de l’identité juive une affaire compliquée. La complexité de l’identité juive de l’entre-deux-guerres est exemplifiée par Irène Némirovsky (1903-1942). L’écrivaine juive, immigrée en France en 1919, est aujourd’hui connue pour son roman Suite Française, publié à titre posthume en 2004 et couronné du prix Renaudot. Or, l’emploi de stéréotypes négatifs à propos des juifs dans ses œuvres de fiction publiées de son vivant provoquera alors des accusations d’antisémitisme et de « haine de soi » juive. Le débat polarisé qui se déroule pendant les années 2000 autour de Némirovsky soulève des questions concernant l’identité juive d’aujourd’hui, ainsi que celle de l’entre-deux-guerres. L’écrivaine est accusée d’un manque de solidarité avec les juifs, et d’avoir véhiculé les mêmes pensées antisémites qui, ironiquement et tragiquement, allaient l’envoyer à sa mort à Auschwitz. Ce mémoire explore l’identité juive dans l’entre-deux-guerres à travers l’exemple d’Irène Némirovsky et une sélection de ses fictions. Ses œuvres, parfois douloureuses et contradictoires, ne représentent pas la totalité de la condition juive, mais elles contribuent à la diversification du discours sur ce que veut dire être juif en France dans l’entre-deux-guerres.