Abstract
Les Sections administratives spécialisées (SAS) ont été créées en septembre 1955 dans le but de pallier à la sous-administration chronique de la population musulmane de l’Algérie. Encadrées par des officiers des trois armes, leur mission consiste d’une part à intégrer les musulmans – et surtout les musulmans du bled – dans les institutions républicaines, et d’autre part à contribuer à l’effort de pacification en établissant des relations de confiance entre les chefs des SAS et leurs administrés, et en obtenant des renseignements sur les activités des rebelles sur leurs territoires.
A l’aide de la lecture des mémoires publiées par d’anciens officiers SAS, des recherches aux archives d’outre-mer et du Service historique de la défense, et des interviews de quatre anciens chefs de SAS, ce mémoire cherche à analyser l’état d’esprit des officiers SAS et leur loyauté versatile au chef d’État, Charles de Gaulle. Fonction, naturellement, de la politique algérienne du général de Gaulle, la loyauté des officiers SAS s’est dégradée au fur et à mesure que de Gaulle a déclaré de plus en plus ouvertement ses intentions d’accorder aux Algériens le droit de disposer d’eux-mêmes, d’abord, et finalement l’indépendance pleine et entière. Pour certains officiers SAS, le désillusionnement et la certitude que l’Algérie serait « trahie », allaient les amener à employer des méthodes illégales pour défendre l’Algérie française. Dans les cas extrêmes, ils sont allés jusqu’à collaborer avec les putschistes d’avril 1961, voire avec l’Organisation armée secrète (OAS).
A leur apogée, 700 SAS existaient, reparties sur tout le territoire algérien. Le nombre d’administrés de chaque SAS variait, mais était normalement entre 10.000 et 20.000. Leurs officiers constituaient un éventail de différentes expériences. Certains idéalistes issus du mouvement scout ; d’autres anciens des Affaires indigènes du Maroc ; d’autres encore ayant vécu la défaite traumatisante de l’armée française en Indochine, la plupart d’entre eux partageaient la conviction que les méthodes conventionnelles n’aboutiraient pas à la pacification de l’Algérie et qu’il incombait à la France de gagner les cœurs et les esprits des habitants de ce territoire. Se distinguant des autres possessions françaises d’outre-mer puisqu’elle était organisée en départements avec un statut nominalement identique à celui des départements métropolitains, les structures sociétales de l’Algérie favorisaient tout de même les habitants européens, pourtant largement minoritaires. Les SAS ont œuvré pour jeter les bases d’une nouvelle et différente société algérienne.
Beaucoup de SAS – sans doute la majorité d’entre elles – ont échoué dans leur mission. L’emprise du FLN sur les habitants était durable et l’indépendance semble rétrospectivement avoir été inévitable. Les officiers SAS qui se prononcent dans ce mémoire étaient tout de même convaincus à l’époque que l’Algérie aurait pu – et aurait dû – rester française, à la seule condition que les nécessaires réformes soient entreprises pour réaliser l’égalité sociale, politique et économique des deux communautés. C’est pourquoi les déclarations gouvernementales en faveur de l’indépendance les ont choqués et ont suscité leur colère. Ayant donné à leurs administrés et à leurs supplétifs musulmans leur parole d’honneur que la France n’abandonnerait pas, ils se sont sentis contraints par leur propre gouvernement de se parjurer en admettant la défaite.
Pour ce mémoire, quatre objectifs sont formulés. Premièrement, nous souhaitons simplement mettre plus de lumière sur les SAS, sujet jusqu’à maintenant très peu traité par les historiens. Deuxièmement, nous cherchons à montrer qu’au milieu de la haine et de la brutalité des deux belligérants, certains soldats et officiers désintéressés œuvraient pour la promotion sociale de la communauté musulmane. Troisièmement, nous allons contester l’idée que l’OAS n’était qu’une bande d’utopistes fascistes et sadiques de l’extrême droite. Et finalement, nous tentons de mieux comprendre les motivations des officiers SAS partisans de l’Algérie française.